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Le blog littéraire de Nana Espérance Isungu
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25 mars 2013

Une vie de boy, de Ferdinand Oyono, éditions Pocket, 1956, 185 pages

 

Diplomate, homme politique et romancier Camerounais, Ferdinand Léopold Oyono est né le 14 septembre 1929 à N'goulemakong, près d’Ebolowa (la province sud du Cameroun).

Il débute ses études au lycée de Yaoundé (la capitale du Cameroun). Il les poursuit au Lycée de Provins en France. Avant d'entrer à l'École Nationale d'Administration de Paris en section diplomatique, il réussit des études supérieures de droit à la Sorbonne.

L'année 1959 marque le début de sa carrière de haut fonctionnaire puis d'ambassadeur du Cameroun dans divers pays.

A partir de 1987, il participe à de nombreux gouvernements de son pays et assure la charge de différents ministères, notamment les affaires étrangères et la culture.

En 1956 il publie deux romans, Une vie de boy et Le vieux nègre et la médaille. En 1960 il publie Chemin d'Europe.

Les trois ouvrages se rattachent au vécu quotidien des africains à l'époque coloniale.

Ferdinand Oyono décède inopinément le 10 juin 2010 à Yaoundé.

Dans une Vie de boy, l'auteur retrace la vie de Toundi Joseph, le personnage principal du roman, un jeune nègre qui prit fuite de son village afin d'échapper à la bastonnade que devait lui infliger son père à cause de sa gourmandise. Il fut recueilli par un père blanc : le Père Gilbert. Ce dernier le conduisit à la mission de Dangan, l'instruisit et fit de lui son boy. Le Père Gilbert mourut, Toundi passa entre les mains du Père Vandermayer (l'adjoint du Père Gilbert) pendant quelque temps puis il devint le boy du nouvel administrateur de colonie « le commandant ».

Suite à un vol commis par sa camarade Sophie, la maîtresse de l'ingénieur agricole, Toundi écope d'une cruelle et violente torture qui le mena à la mort.

Ainsi donc Toundi est à la fois le témoin oculaire et le souffre-douleur de la négation de l'humanité des colonisés noirs suite aux sévices et supplices couronnés par la ségrégation raciale que leur imposèrent les colonisateurs blancs.

Le titre « une vie de boy »explique ce qu'était en fait la vie misérable du nègre (l'africain de l'époque coloniale) qui était à tout prix considéré comme le « boy », le domestique, le serviteur dévoué de son colonisateur de maître : l'Européen (l’homme blanc).

En écrivant une vie de boy, Ferdinand Oyono rejoint ses confrères : Mongo Beti, son compatriote, le sénégalais Ousmane Sembene et Bernard B. Dadié l'ivoirien qui ont écrit respectivement : Le pauvre christ de Bomba, Les bouts de bois de Dieu et Climbié.

Au travers de leurs romans, ces auteurs, déguisés en militants de la libération de l'Afrique noire colonisée, font le procès de la colonisation. Ils convoquent à la barre : administrateurs coloniaux, commerçants blancs et missionnaires.

L’œuvre romanesque tragique Une vie de boy écrite par F. Oyono est le récit d'un journal intime tenu par Toundi Ondua Joseph, boy du Père Gilbert, et qui devint, suite au décès de son bienfaiteur de prêtre, le boy du commandant.

L'ouvrage est divisé en deux parties : la première partie est reprise dans « Le premier cahier de Toundi » (pages 15 à 106). La deuxième partie, intitulée « Le deuxième cahier de Toundi » va de la page 107 à la page 185.

Première partie : nous sommes à Fia, Toundi Ondoua Joseph, jeune Camerounais issu de la race d'anthropophages : "Ma race fut celle des mangeurs d'hommes. Depuis l'arrivée des blancs nous avons compris que tous les autres hommes ne sont pas des animaux" (page 16), échappe à la chicotte de son père qui le punissait à cause de sa pseudo-gourmandise. "Je le connaissais, lui, mon père ! Il avait la magie du fouet". (Page 17).

C'est toi, Toundi, la cause de toute cette histoire, ta gourmandise nous perdra... (Page 16).

L'incident survient la veille de son initiation au totem (serpent) de leur race.

"Tu éprouves encore le besoin, à la veille de ton initiation, de traverser un ruisseau pour aller quémander des morceaux de sucre à cet homme-femme blanc que tu ne connais même pas !" (Page 17). Toundi alla trouver refuge chez le Père Gilbert, « l'homme blanc aux cheveux semblables à la barbe de maïs, habillé d'une robe de femme, qui donnait de bons petits cubes sucrés aux petits noirs » (page 16).

Le Père Gilbert lui remit une culotte kaki et un tricot rouge. Toundi devint ainsi son boy. Deux jours après, ils quittent le village de Fia pour se rendre à la mission catholique Saint-pierre de Dangan. A Dangan, Toundi est servant de messe et travaille à la sacristie ; ce qu'il aime : caresser le menton des jeunes filles blanches avec la patène qu'il leur présente lorsqu'elles communient (page 23).

N'étant pas retourné à Fia, tous les villageois l'accusent d'être le responsable de la mort de ses parents. (Page 16, pages 22 et 23).

"Au village, on dit de moi que j'ai été la cause de la mort de mon père parce que je m'étais réfugié chez veille sur tous ceux de notre race".

"Un prêtre blanc à la veille de mon initiation où je devais faire connaissance avec le fameux serpent qui Mes parents sont morts. Je ne suis jamais retourné au village".

Suite au décès du Père Gilbert, Toundi fut recueilli par le Père Vandermayer. A l'arrivée du nouveau commandant (administrateur colonial), le Père Vandermayer lui recommande Toundi Joseph "je serai le boy du chef des blancs : le chien du roi est le roi des chiens..."(...) C'est une nouvelle vie qui commence pour moi. Mon Dieu, que votre volonté soit faite..."(page 32).

Dans le deuxième cahier, Joseph Toundi qui, jadis, à la mission Saint-Pierre, avait constaté la différence entre les noirs et les blancs, se rend de plus en plus compte de la véracité des faits. Il y avait d'un côté des colonisateurs, des chefs (les blancs) et de l'autre, ses frères de race : les colonisés, les maltraités.

Quand la cloche tintait à Dangan, les blancs, eux, précédés du père Vandermayer, entraient par la sacristie pour accéder à l'église. Les noirs qui stationnaient dans la cour, prenaient d'assaut l'unique porte de la nef. C'était la bousculade, on entendait les cris des femmes et des enfants. Dans l'église, les blancs (hommes et femmes coudoyés) se plaçaient dans le transept, à côté de l'autel, pour suivre la messe. Confortablement installés dans des fauteuils de rotin recouverts de coussins de velours.

 Les noirs occupaient la nef de l'église, divisée en deux rangées : une pour les hommes et l'autre pour les femmes. Ils s’asseyaient sur des troncs d'arbres en guise de bancs ; surveillés étroitement par des catéchistes munis de chicotte, faisant les cent pas et prêts à corriger l'inattention des fidèles. (Pages 53 et 54).

Dans le milieu des colons, rien ne lui échappe : il continue de décrypter tout ce qui s’y passe. Il sait désormais départager les deux mondes foncièrement différents : le quartier noir, un village pauvre enclavé dans la ville. L'autre monde, c’est celui de la résidence, une ville opulente, la ville blanche.

Toundi rapporte tout ce qui se passe dans les deux nouveaux mondes. C'est ainsi que l’on apprendra que le régisseur de prison, M. Moreau, surnommé l'éléphant blanc « par les indigènes était l'amant de sa patronne Suzy, l'épouse du commandant ; Sophie la jeune belle boy cuisinière, la camarade de Toundi était la maîtresse de l'ingénieur agricole et qu'elle était avide d'argent » (pages 41et 42).

Toundi qui a toujours eu de l'estime pour sa patronne blanche, s'indigne face aux actes ignobles que commet cette dernière :

Suzy accordait son assentiment à M. Moreau, le régisseur de prison à venir inspecter en détail sa beauté en l'absence de son commandant de mari (page 98).

Suzy ne manque pas d'intimité à l'endroit de serviteurs hommes, elle demande à Baklu, le washman de laver les serviettes hygiéniques qu’elle utilise : "Baklu, la main sur droite appliquée contre son nez, tenait entre le pouce et l'index de la main gauche les serviettes hygiéniques de madame. Il vint dans la cuisine. Le cuisinier lui ferma la porte au nez et l'abreuva d’injures." (Page 122).

En allant balayer un matin la chambre de madame, Toundi découvre par mégarde des préservatifs usés sous le lit : "Je m'agenouillai et sondai le dessous du lit d’un grand coup de balai qui ramena non seulement des débris de verre, mais aussi des petits sacs de caoutchouc. Il y en avait deux. Quand madame n’entendit plus le frottement de balai, elle se retourna. En me voyant en train de tourner et retourner les petits sacs avec mon balai, elle bondit sur moi et tenta de les repousser sous le lit d'un coup de pied. Elle ne réussit qu’à en piétiner un qui éjecta un liquide sur le sol."  (Pages 130 et 131).

Après cet incident, sa patronne passe la commande d'une femme de chambre ; le cuisinier lui présenta Kalisia (page 137).

"J'ai trouvé le régisseur de prison entrain  " d'apprendre à vivre" à deux nègres soupçonnés d'avoir volé chez M. Janapoulos. En présence du patron du cercle européen, M. Moreau aidé d'un garde, fouettait mes compatriotes" (...).

-Avouez donc, bandits ! Criait M. Moreau. Un coup de crosse, N’djangoula ! (...)

-Pas sur la tête, N'djangoula, ils ont la tête dure...Sur les reins... N'djangoula donna un coup de crosse sur les reins. Les nègres s'affaissaient et se relevaient pour s'affaisser sous un autre coup plus violent que le premier. Janapoulos riait. M. Moreau s'essoufflait. Les nègres avaient perdu connaissance. Nous avons vraiment la tête dure, comme le disait M. Moreau. Je m'attendais à voir celle de mes compatriotes voler en éclats au premier coup de crosse de N'djangoula. On ne peut avoir vu ce que j'ai vu sans trembler. C'était terrible. Je pense à tous ces prêtres, ces pasteurs, tous ces blancs qui veulent sauver nos âmes et qui nous prêchent l'amour du prochain. Le prochain du blanc n'est-il que son congénère ? Je me demande, devant de pareilles atrocités, qui peut être assez sot pour croire encore à tous les boniments qu'on nous débite à l'Eglise et au temple... (Pages 114 et 115).

Cet épisode de la "place de la bastonnade" focalise la prise de conscience de Toundi, qui voit s'envoler ses illusions sur les blancs.

Accusé à tort, par l'ingénieur agricole, d'avoir participé au forfait de sa fiancée-maîtresse, Toundi est arrêté et placé au camp des gardes supervisé par Gosier d'oiseau (le commissaire de police), lui qui jadis avait échappé à la chicote de son père est vite repris par le destin du fouet. Se trouvant déjà mal en point avant son transfert pour Bêkon, la "crève des nègres" suite à la première dose de tortures administrée par Mendim, son bourreau et compatriote Toundi fut acheminé à l'hôpital... Afin d'épargner sa vie des exactions de M.Moreau, Toundi se sauve de l'hôpital... Hélas il fut surpris par la mort au cours de son escapade pour la Guinée espagnole (actuelle Guinée équatoriale).

 

En lisant une vie de boy, d'aucuns diraient que c'est un ouvrage écrit des mains d'un François Marie Arouet africain puisqu'il est rédigé dans un style classique châtié faisant emploi de certaines tournures, petites phrases et quelques proverbes et épisodes d'humour

A titre d’exemple :

-Tu parles de la honte ! Mais ce sont des cadavres ! explosa Baklu. Depuis quand un cadavre a-t-il eu honte ? Comment peut-on parler de honte pour ces femmes blanches qui se laissent manger la bouche en plein jour devant tout le monde ! (...) qui ne sont peut-être bonnes qu'au lit et qui sont incapables de laver leurs slips, leurs serviettes hygiéniques... (Pages 123 et 124)

-Je fus un peu étonné quand je vis la femme du docteur apparaître dans l’escalier de la Résidence Il était quatre heures et madame n'était pas encore réveillée Je courus au -devant de la femme du docteur pour la débarrasser de son ombrelle Elle m'écarta vivement de son chemin et détourna la tête.

(...)La femme du docteur, en vieille coloniale, se plaisait à tout exagérer, elle demanda des nouvelles du commandant, fit son panégyrique, parla, sans reprendre haleine, de Mme Salvain et de son époux, de tous les Blancs de Dangan...Madame l'écoutait avec de petits sourires forcés, la tête entre le pouce et l’index. Elles levèrent leurs verres, les posèrent à leurs lèvres et les reposèrent presque en même temps. (Page 124 ; pages 125 et 126)

-(...) « je n'ai été que celui qui a vu et entendu malgré lui.

-Toi, tu parles comme si tu avais un scorpion accroché à tes couilles !

-Je sais, je sais dit le garde en balançant la tête à droite et à gauche. Il écarta les mains comme un prêtre disant ‘Dominus vobiscum’. Il commença :

-Mon frère, écoute ce qui change nos têtes. J'ai dit à Toundi ce qui est parvenu à mes oreilles et ce qui s'est passé devant mes yeux...L'Eléphant blanc que tu connais a visité le champ du commandant en son absence... » (Pages 97 et 98)

Pour m'obliger à aller seul, elle s'engouffra dans un bosquet et me lança :

-avance seul ! Je vais voir M. W.-C. À qui on ne lève pas le chapeau...mais le pagne !

Son derrière disparut dans une touffe d'herbes. (Page 153)

(…) Visite d'Obébé le catéchiste :

Petit vieillard fatigant qu'il faut supporter avec beaucoup de courage...Il me conseille le pardon, me parle de la récompense et des bienfaits de Dieu, du ciel comme si je devais m’y rendre dans quelques jours.

 N'empêche que le coquin souffre encore de sa blennorragie d'avant-guerre et qu'il a partagé notre maigre repas. Il a promis de revenir demain.

Il a promis de revenir demain.

Mendim va m'en débarrasser. (Page 175).

 

« Corvée d'eau

Eau et sueur .Chicotte. Sang.

Colline abrupte. Montée mortelle. Lassitude.

J'en ai pleuré ». (Page 176).

 

« La rivière ne remonte pas à sa source... » (Page 88).

« La femme est un épi de maïs à la portée de toute bouche pourvue qu'elle ne soit pas édentée ». (Page 108) ;

 

L'image du petit garçon pensif et rêveur reprise sur la couverture de l'ouvrage refléterai sans doute le comportement des africains d'antan et d’aujourd’hui ; tutti quanti, ils ont toujours du mal à saisir leur avenir à bras le corps en vue d'obtenir un essor définitif de leur destinée.

 

Nana Espérance Isungu.

 

Ferdinand Oyono-recto ouvrage

Ferdinand Oyono-verso ouvrage

 

 

 

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Commentaires
E
formidable réflexion de votre part. tout mes respects. je suis content de vous. nous avons du mal a saisir notre avenir, voilà pourquoi nous nous développerons difficilement
E
formidable réflexion de votre part. tout mes respects. je suis content de vous. nous avons du mal a saisir notre avenir
E
formidable réflexion de votre part. tout mes respects. je suis content de vous. nous avons du mal a saisir notre avenir
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  • L'auteure fait ici connaître au monde son goût passionné pour l'écriture en général et la poésie en particulier, avec une pincée de féminisme et un soupçon d'africanisme, le tout s'exprimant en un talent indéniable.
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