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Le blog littéraire de Nana Espérance Isungu
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25 mars 2013

La Femme aux pieds nus, MERE COURAGE, de Scholastique Mukasonga, Éditons Gallimard, 2008, 145 pages.

 

 

 

Native du Rwanda, Scholastique Mukasonga vit et travaille en Basse Normandie en France. Dans son premier livre Inyenzi ou les cafards (2006), elle retrace son enfance et sa jeunesse qu’elle vécut en déportée tutsi avec tous ses siens dans le camp de Nyamata.

La femme aux pieds nus est son deuxième ouvrage ; le titre de cet ouvrage est très significatif puisqu'il ne fait que traduire ce que l'auteur brosse comme portrait de celle qu'elle appelle « mère courage » : Stefania, sa maman : une travailleuse champêtre assidue, une femme vivant au cœur de l'Afrique, qui s'est toujours donné pour que vivent ses enfants. Elle les protège coûte que coûte de tous les maux possibles : famine, guerre et maladie. Stefania est la figure emblématique du courage ; et à travers elle on retrouve non seulement la femme rwandaise mais également toutes les femmes africaines ; surtout celles qui ont connu l'opprobre du viol pendant les guerres et qui sont devenues avec leurs enfants des sujets de stigmatisation pour la société, des « bannis » puisque ayant contracté le virus du Sida. Ces femmes devaient faire montre de beaucoup de courage pour leur survie. D'où l'emprunt de l'expression « mère courage » au sens figuré tout comme au propre.

La femme aux pieds nus et Inyenzi ont touché un large public. La femme aux pieds nus a remporté le prix Seligmann 2008 « contre le racisme, l'injustice et l'intolérance ».

 

Du point de vue de la forme, la femme aux pieds nus de Scholastique Mukasonga est un récit qui comprend dix chapitres avec une narration en préliminaire et une autre en final.

Les dix chapitres constituent une suite cohérente au prélude évocateur du passé de l'auteur.

L'art scriptural de Scholastique Mukasonga repris dans le premier volet  de cet ouvrage se présente comme suit: le chapitre premier « sauver les enfants » (pages15 à 26); chapitre deuxième « les larmes de la lune » (pages27 à 31); le chapitre troisième « la maison de Stefania » (pages 33 à 43); le chapitre quatrième  « le sorgho » (pages 45 à 58); le chapitre cinquième « médecine » (pages 59 à 71); le chapitre sixième  « le pain » (pages 73à 81); le chapitre septième « beauté et mariage » (pages 83 à 100); le chapitre huitième  « le mariage d'Antoine » (pages 101 à 108).

Le personnage central qu'incarne le créneau de ces huit épisodes n'est autre que Stefania, une guetteuse protectrice de la vie de ses enfants des militaires « hutu » qui faisaient souvent intrusion dans « l'inzu » en kinyarwanda (leur maison de Nyamata, faite de paille tressée comme une vannerie, comparable à la hutte ou paillote). L'aliment de base dont elle se servait pour nourrir ses enfants était le sorgho, raison pour laquelle elle exerçait ses files à bien manier la houe en vue du labour et du sarclage.  Stefania savait également interpréter tous les présages qui se multipliaient en scrutant le ciel. La médecine qui se pratiquait à Nyamata se déroulait dans une promiscuité indescriptible. Le médicament qu'on donnait aux enfants gravement malades après avoir épuisé tous les autres remèdes c'était du pain. Malheureusement on n'en trouvait pas à Nyamata, on devait aller le chercher à Kigali, la capitale. Cela demandait deux jours pour l’aller et deux jours pour le retour.

Pour ce qui concerne la mode et les mœurs des jeunes filles rwandaises ; le port des tresses « amasunzu » était recommandé à celles qui étaient âgées de 18 voire 20 ans pour signifier qu'elles étaient en quête du prince charmant. Elles devraient également abandonner jupes et robes pour se draper des pagnes. Tradition rwandaise oblige, la virginité était observée jusqu'à la nuit des noces. Conseillère matrimoniale expérimentée pour toutes les femmes de Nyamata qui recouraient à son concours pour le choix des futures épouses de leurs fils, Stefania assiste au scandale du rapt de Mukasine, la promise d'Antoine, son fils aîné ; et cela à la veille même du mariage. Et comme au Rwanda c'est le don d'une vache qui valide un mariage, la vache qui était destinée à la famille de Mukasine fut offerte à la famille de Jeanne, sa nouvelle belle-famille.

Le deuxième volet de l'ouvrage comprend le chapitre neuvième « le pays des contes » (pages 109 à 117) et le chapitre dixième « des histoires des femmes » (pages 119 à 142). Ces chapitres expriment le mécontentement de l'auteur face aux histoires porteuses de haine et de mort que racontaient les Blancs ; elle dénonce également le viol qui fut l'une des armes des génocidaires qui pour la plupart étaient porteurs du VIH Sida.

La finale « les esprits des morts nous parlent-ils ? » (Pages 143 à 145) raconte les nuits cauchemardesques de l'auteur en rapport avec les tueries de1994.

 

Rédigé dans un style typiquement moderne du genre d'un récit raconté sans une quelconque autre tournure ou emploi du classicisme, l'ouvrage de Scholastique Mukasonga se positionne, du point de vue thématique, à la suite des autres récits africains faisant éloge de la femme noire.

Ainsi, cette native du Rwanda se rallie à l'écrivain guinéen Camara Laye qui, dans son ouvrage intitulé « l'Enfant noir », rendit aussi à sa manière un vibrant hommage à la Daman, sa mère : femme de champs, femme de rivières ; cette femme qui la première le portât sur le dos et lui ouvrit les yeux aux prodiges de la Terre.

 

Avec Inyenzi (les cafards), La femme aux pieds nus (mère courage) et tout récemment L'Iguifou, l’œuvre de Scholastique Mukasonga constitue une trilogie dénonciatrice du clivage ethnique à visée exterminatrice qui s'est déroulée en 1994 au Rwanda.

Voltaire a dit un jour : « La tristesse et la crainte sont deux sentiments désagréables. Avec les regrets, c’est le pire état de l'âme ».

C'est dans le cadre de cette perspective que se situe également le récit de Scholastique Mukasonga.

Expression de ressentiment ou leitmotiv vindicatif ? C'est la question que je me pose car l'auteur fustige les colons belges qui avaient placé à la tête du Rwanda nouvellement indépendant des autorités hutu, et ce avec la complicité de l’Église. Tenant toujours compte des dires de l'auteur, ces autorités hutu n'avaient qu'un seul objectif : rendre plus qu'incertaine la survie des tutsi « les exilés de l'intérieur », contraints de subir la souffrance lancinante de l’exil (pages 15 à 25).

La confrontation qui a souvent opposé les tutsi à leurs pairs hutu tire son origine des légendes complaisamment colportées par les ethnologues ; les missionnaires de l’époque (Allemands puis Belges). D'après les ethnologues, les tutsi seraient « les presque blancs », une « race des seigneurs » de par leur physionomie.  Ces contes légendaires répétés par les intéressée eux-mêmes, confortaient évidemment les tutsi dans le sentiment de « leur supériorité naturelle » et les hutu dans leur complexe d'infériorité.

Hormis les Twas (chasseurs pygmoïdes), les Hutu (généralement agriculteurs) et les Tutsi (généralement pasteurs) constituent les deux principales ethnies qu'on retrouve au Rwanda et au Burundi.

Colette Braeckman, dans son livre intitulé : Rwanda, histoire d'un génocide ; publié aux Éditions Fayard en 1994 nous élucide explicitement sur ce sujet.

Ce qui m'intrigue – nonobstant toutes ces observations – et je cherche toujours à comprendre pourquoi les belges du temps de la colonisation au Rwanda ne pouvaient pas pacifier les hutu et les tutsi du moment où à la même époque, au royaume de Belgique wallons et flamands vivaient en parfaite harmonie. Ils pouvaient ne fut ce que réparer ou retirer ces faux discours prônant le ségrégationnisme et la violence.

Curieusement à l'heure actuelle, la Belgique traverse une période épineuse et presque similaire à la mésentente ethnique qui s'est déroulée au Rwanda. Mais cette fois-ci il s'agirait beaucoup plus d'une question de mitoyenneté territoriale entre flamands et wallons.

Aux hutu et tutsi, aux flamands et wallons, je leur souhaite de retrouver la paix véritable pour le futur sans quoi on ne pourrait bâtir ce vaste monde.

 

Nana Espérance Isungu.

 

Scholastique Mukasonga recto

Scholastique Mukasonga verso

 

 

 

 

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  • L'auteure fait ici connaître au monde son goût passionné pour l'écriture en général et la poésie en particulier, avec une pincée de féminisme et un soupçon d'africanisme, le tout s'exprimant en un talent indéniable.
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